A louer de Jaume Balaguero

Publié le par helel ben sahar

Récemment l’anthologie Masters of horror a permis de retrouver des cinéastes que l’industrie hollywoodienne semble avoir totalement délaisser. Parce qu’ils ne rentrent pas dans une vision consumériste du cinéma, parce que leur personnalité s’adapte très mal avec l’esprit des grands studios ou simplement parce qu’il reste sur un échec commercial et que ce monde est particulièrement rancunier. Dante, Gordon ou Carpenter y trouvent un refuge salvateur. Une place qui n’a rien de honteuse tant la télévision est devenue un terrain fertile, réceptacle de diverses manipulations que de nombreux cinéastes ont investi avec passion et réussite. Masters of horror est un éden retrouvé qui offre une totale liberté aux réalisateurs. Seul contrainte : un budget serré et une durée limitée à une heure. Ce format permet de se concentrer sur des histoires plus ou moins courtes ou d’effectuer quelques expériences issues généralement du court métrage. La réussite commerciale de la première saison entraîne la mise en chantier d’une seconde salve et, de l’autre côté de l’atlantique, l’exhumation d’une vieille anthologie de la télévision espagnole : les scary movies.

L’Espagne a connu une vague de nouveaux auteurs oeuvrant dans le fantastique pour un résultat internationale remarquée. Des cinéastes comme De la Iglesia, Amenabar ou Balaguero ont contribué à faire de l’Espagne, un nouvel eldorado du fantastique où plusieurs jeunes auteurs ont emboîté le pas pour générer un vivier créatif en perpétuel mouvement. L’idée d’une telle anthologie n’est pas nouvelle, la télévision ibérique avait déjà lancé auparavant un projet similaire. Bénéficiant des nouveaux visages du fantastique, la célèbre société de production Filmax décida de dépoussiérer le concept et d’offrir des plages récréatives à différents cinéastes. Jaume Balaguero accepta l’invitation avec plaisir et engouement. Le réalisateur a déjà bâti en trois films une œuvre de qualité et cohérente, qui lança la gloire au sein de l’industrie fantastique locale avec La secte sans nom. On aurait évidemment pu évoquer Alex De la Iglesia, mais ses débuts remarquables trop isolées n’ont pas donné l’impulsion à une nouvelle vague. Le cinéma de Balaguero est issu d’une tradition fantastique basée sur l’ambiance diffuse plutôt qu’une démonstration abusive. Il privilégie constamment le climax à l’action. La secte sans nom ou Fragile, deux perles remarquables, participent à cette volonté de construire une œuvre homogène. Souvent sombre, triste et mélancolique, le cinéma de l’auteur possède une harmonie que peu de réalisateurs ont su atteindre en seulement trois films. Avec A louer, Balaguero semble profiter de la situation pour oser quelque chose de différent. Le format d’une heure impose un récit serré, immédiat auquel son cinéma n’adhère pas. Alors il se détourne de ses obsessions pour offrir aux spectateurs un épisode brutal et violent qui ne manque pas de surprendre.

Un jeune couple attendant un heureux évènement recherche désespérément un nouvel appartement. Leur budget serré allié à des considérations purement matérielles ne leur facilite pas les choses. Le mari trouve dans sa boîte aux lettres une petite annonce apparemment idéale. Ils décident de s’y rendre afin de visiter l’appartement. Sur ce canevas simple, Balaguero déploie une énergie agressive étonnante. Il ne prend pas de gants et semble balancer en une petite heure toute la violence contenue dans ses précédents films et qu’il avait dû contenir. Le cadre tremblant, une complaisance gore, la furie déployée par les personnages, les situations excessives, se succèdent à l’écran en une explosion de férocité gratuite, mais jouissive. Il y a un peu de folie excessive empruntée à De la Iglesia dans A louer, le second degré en moins. Le réalisateur maîtrise parfaitement le format, et y déploie une armada de retournements qui procurent un irrésistible sentiment d’extase. Le spectacle est simple, l’histoire serait presque prévisible et pourtant l’ensemble fonctionne complètement. A louer est un parfait exutoire pour le cinéaste, envieux apparemment de produire un spectacle un peu gore, en y prenant un plaisir conséquent. On sait que le réalisateur s’est vu contraint de couper certaines scènes de Fragile, jugées trop violentes et ne s’intégrant pas naturellement dans le film. Il semblerait que Balaguero exprime ce sentiment de frustration dans cet épisode. Et le résultat défie la cohérence bâtie, mais développe une facette intéressante, qui, placée dans une œuvre pessimiste, peut trouver un usage adéquate. Ou comment un réalisateur s’empare de la fureur d’un point de vue essentiellement ludique, à la fois par esprit de contradiction, mais également pour l’exercice de style qu’il représente. Et une anthologie est le parfait écrin pour accueillir un tel bijou.

Publié dans Série TV

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