Therion - Gothic kabbalah

Publié le par helel ben sahar

Therion est une incarnation protéiforme qui se développe à chaque album un peu plus. Du visage death métallique, aujourd’hui on n’en retrouve guère plus de trace. Aucune réminiscence particulière d’un genre que le père fondateur, Christofer Johnsson, semble avoir volontiers remis au placard. Cet abandon a donné naissance à l’image du groupe que l’on connaît aujourd’hui et qui représente ce que le métal fait de plus ambitieux. Un mélange de musique classique et de metal, mi heavy, mi dark, porté par un chœur opératique place tout de suite le groupe sur des sentiers rarement exploités avec autant de conviction. Un songwriting remarquable, un travail d’orfèvre qui ne se contente pas de placer quelques arrangements symphoniques autour de riffs de guitares, mais de composer en prenant l’orchestre comme un instrument, portant les mélodies que les guitares soutiennent avec la pesanteur qui les caractérise. Au fil des albums, le rapport entre le métal et le classique s’est modifié. Comme fusionné l’un avec l’autre, ils ont chacun repris la position que leur réputation leur octroie pour finalement trouver une recette salvatrice d’empêcher de tourner en rond. La musique se mérite, parce que travaillé davantage dans son ensemble, à l’image de Deggial, album un peu bancal mais qui parvenait héroïquement à définir une approche fédérée où les guitares prenaient tantôt l’ascendance, tantôt soulignaient des orchestrations impressionnantes. Une approche accentuée avec le très heavy et imposant Secret of the Runes, qui associait la vague ’80 à l’emphatique Wagner. La discographie de Therion est un immense terrain de jeu, un laboratoire où Johnsson tente de créer une musique ambitieuse, et riche. Spectaculaire, mais jamais démonstrative quand il s’agit de mettre en musique le folklore nordique.

On avait quitté le groupe avec l’immense double album Lemuria / Sirius B. Projet dantesque et relevé haut la main d’un groupe maîtrisant son art à la perfection. Un voyage qui sonnait comme une synthèse de tous les visages du groupe. A tel point, qu’il donnait l’impression d’un disque de fin de parcours. Tout l’intérêt du best of sans le côté pièces rapportées, pour former un tout aussi disparate que cohérent. Difficile après un morceau de bravoure aussi conséquent, de donner une suite à leur discographie. On aurait pu croire l’inspiration de Johnsson quelque peu atténué, la source tarie. Therion a toujours su se renouveler tout en restant fidèle à ses principes, mais le genre possède ses propres limites. Comment réinventer sans cesse son écriture pour offrir à chaque reprise des pièces musicales d’une richesse difficilement comparable ? Peu de groupes officiant dans un genre plus ou moins identique, peuvent se vanter d’un talent équivalent. Et avec une longévité remarquable, l’exercice n’en est que plus méritoire. Toutefois, Johnsson ne se repose absolument pas sur ses lauriers et compose une nouvelle fois un double album. Gothic kabbalah est un concept album, biographie musicale de X. L’homme doit posséder le plaisir un peu masochiste qui consiste à placer la barre toujours plus haute. Sans atteindre la splendeur du précédent opus, Gothic kabbalah diffère, mais n’en reste pas moins une réussite.

On ne peut s’empêcher d’être un peu déçu à la première écoute, d’éprouver l’impression que le groupe effectue trois pas en arrière et joue une carte facile et usée. Difficile de revenir à des choses apparemment plus simples quand on a goûté aux merveilles précédentes. L’album s’ouvre vers des ambiances gothiques, sans la richesse orchestrale et une présence reléguée en second plan des chœurs. On découvre des chants plus traditionnels, davantage d’invités comme autant de risque de perdre l’identité fondatrice de Therion, deuxième du nom. Un jugement sans recul et certainement prématuré, car une étude plus approfondie du disque dévoile pléthore de richesses. On découvre un nouveau visage de Therion. Une nouvelle facette, pas aussi radical que le passage du death au métal orchestral, mais une évolution latente qui met du temps à se définir.  La simplicité pour Johnsson consiste à employer l’aspect symphonique uniquement par le prisme de l’arrangement ; de construire ses morceaux autour du trio guitare basse batterie, et de faire intervenir les chants en soutient. Une démarche classique, un brin décevante compte tenu du passé du groupe, mais qui témoigne en réalité toutes les qualités de compositeur. L’orchestre se contente d’apparitions, mais chacune possède la grâce angélique de transformer un schéma éculé en un trésor fraîchement découvert. Des intonations, de petites fuites mélodiques ou se faisant violence et imposante, les arrangements deviendraient presque effrayants. Toutes les compositions possèdent cet instant magique d’une musique en apesanteur, comme intouchable. Une envolée lyrique en toute discrétion qui se mérite. Toutes les clés ne sont pas données à l’auditeur, c’est à lui d’effectuer une partie du travail. D’aller chercher la perle dans un océan par ailleurs fort beau. Parce que Gothic kabbalah se dévoile progressivement, s’effeuille un peu plus à chaque écoute pour finalement devenir cette œuvre qui ne fera pas tâche dans la discographie du groupe. Ainsi, la déception initiale se transforme en quelques écoutes en un sentiment béat d’admiration. Sensation récurrente à toute découverte de nouvel album depuis la sortie de To mega Therion.

Donner une suite au diptyque Lemuria / Sirius B relevait de l’exercice périlleux. Un danger que Johnsson contourne, sachant pertinemment qu’il ne pourrait affronter de face un tel combat sans y laisser quelques plumes. Alors il rafraîchit sa musique au risque de paraître couard et de se coucher devant le problème. De choisir la fuite au combat. Gothic kabbalah n’est certainement pas le disque d’un compositeur peureux, mais sage et préférant s’aliéner une partie de son travail en abordant la montagne par un flanc différent. Un choix tout aussi hasardeux qui comprenait autant de risques, car il n’est pas aisé d’afficher la prétention de simplifier sa musique pour l’évoluer de l’intérieur. La révolution dans Gothic kabbalah ne s’affiche pas, elle s’exerce dans les profondeurs de la composition et ne rejaillit qu’une fois l’album parfaitement assimilé par l’auditeur. La simplicité apparente est un leurre, masquant des trouvailles merveilleuses dans l’agencement des apparitions orchestrales. Le disque offre un parcours à l’auditeur, une route a priori banal recelant des paysages déjà visités mais que l’on redécouvre avec un œil neuf. Le voyage de Therion n’est pas terminé, et cette nouvelle escale nous comble totalement.

Publié dans Musique

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