Munich de Steven Spielberg

Publié le par helel ben sahar


On a longtemps taxé Spielberg de produire un cinéma enfantin, aseptisé, rompu à l’exercice du happy end indélicat, pudique, impersonnel ou faussement universel, ressassant ces thèmes de prédilection comme une mauvaise rengaine. Certains ont pu prendre ou ont du prendre cela pour une habitude, des œillères posés à chaque début de film, et s’amusant, s’émerveillant merveilleusement bien à taper sur les doigts du réalisateur. Et pourtant. Jamais le réalisateur n’a été autant félicité que lorsqu’il s’empare d’un sujet dit « sérieux » voire inspiré de faits réels. A croire que pour certains, la légitimité du cinéaste n’est compatible qu’avec la teneur de son film, son implication vériste et sa dimension testamentaire. Malheureusement, Munich va une nouvelle fois les persuader d’avoir raison. Munich narre les évènements qui ont conduit un groupe de cinq hommes à devenir les pionniers du terrorisme international, suite aux attentats de Munich en 1972 perpétué par un groupuscule islamiste – Septembre noir – Palestinien tuant onze athlètes Israéliens.

L’affiche de Munich montre la silhouette d’un homme se détacher devant une fenêtre remplie d’un halo lumineux. L’homme semble replié sur lui-même, s’interroge une arme à la main. On devine évidemment qui est ce personnage, en revanche, peut-on se poser la question de savoir à quel moment cette image est tirée du film, de savoir ce qu’il se passe réellement dans la tête de Avner. Dans le métrage, ce dernier passe par un certains nombres de phases, de positions, d’interrogation, de tentative de justification, de raisonnement, de compassion, cherche une branche à laquelle se rattacher dans sa longue chute. Avner est un enfant abandonné et qui semble désormais partager ses sentiments entre sa femme, son futur enfant et son pays. On peut le deviner finalement inadapté sentimental, dont l’absence de figure paternelle a créé une fission. Il est justement choisi pour cette raison, pour la dévotion qu’il porte à son pays, sans toutefois savoir dans quoi il s’engage exactement.

Un homme se construit par ses actes. Dans Munich, les membres du groupe se déconstruisent à mesure que leur réussite les édifie. Dans cette nouvelle famille chacun incarne un membre à part entière, Carl serait le père, l’incarnation de la sagesse, Avner la mère, protecteur et attentionné, Robert le cadet fragile, pétri de doute, Steve l’aîné et enfin, Hans l’oncle, figure sympathique et un peu en retrait. Cette famille réunie sur les cendres d’une tragédie doit se complaire dans le meurtre pour justifier sa création, son existence. Une recomposition familiale abstraite et fabulée, où chacun fait avec sa nature et contre elle également. Ils ont tous – excepté Carl – engagé pour un travail dont il ne connaisse pour ainsi dire rien, chacun motivé pas ses propres convictions et celles d’Israël. Mais comme ils remplissent leur mission, comme le geste se fait plus sûr et certains, les questions se multiplient, le doute s’installe.

Avner représente bien sûr la figure de proue, il est le chef, il prend les décisions. Mais l’abnégation dont il faisait preuve s’effrite, se morcelle, comme il apprend dans quel monde il existe (ou n’existe plus) désormais, quand il devient lui-même une cible, quand l’anonymat rassurante tombe. Son rapport avec Louis et Papa entraîne les questions, les doutes. L’homme qu’il semble admirer pour la figure paternelle qui lui a manqué toute sa vie n’est qu’un marchand d’informations. En lui avouant qu’il pourrait être son fils, mais qu’il ne fait pas parti de la famille, Papa lui fait comprendre l’intérêt qu’il lui porte en lui avouant qu’il ne fait pas parti de ce monde, de cette mondialisation de l’informations où les frontières, les pays, les gouvernements n’existent plus.

Le métrage est riche, il possède de nombreuses lectures qu’il semble impossible de percevoir en une unique vision. Bien sûr l’évidence se détache, comme ce jeu sur la photo de Kaminski qui rend Avner cadavérique à mesure que le métrage avance et l’implacable situation retomber sur les épaules d’un homme non préparé à cela, le jeu sur ces halos lumineux qui semblent happer les personnages et les faire vivre dans un paradis cotonneux illusoire qui se contente simplement d’occulter l’extérieur. Le travail sur les reflets, ces compositions de champ contrechamp parasité par le cadre à l’intérieur du cadre. La confusion qui règne lors de l’annonce de la prise d’otage, cette multiplication des points de vues, des cadres, qui embrasent la situation pour mieux brasser du vide. Les reflets nombreux, parce que ces hommes ne sont que le reflet d’eux-mêmes, parce que Spielberg ne confronte pas directement le spectateur, mais au travers le prisme d’une surface autre que celle de l’écran. La reconstitution des années soixante dix jusqu’à utiliser le langage cinématographique de l’époque, sans que l’effet ne soit gratuit, facile ou abusif.

Munich est évidemment un film sur la vengeance. Cette violence qui fait couler le sang, qui entraîne la vengeance qui fait couler le sang qui entraîne les représailles qui font couler le sang jusqu’à ce que le monde ne soit plus qu’un bain écarlate. Ce cercle vicieux qui ne peut s’arrêter par la violence, par la loi du talion. Spielberg ne pointe du doigt personne ou tout le monde. Il n’invoque que la juste raison de la raison. Celle de l’évidence. Message humaniste ? Bien sûr, mais sans complaisance lourde ou maladroite. Mais au contraire, en plaçant l’innocence pervertie qui ne retrouvera jamais de sa superbe. Avner ne porte pas de marques sur son corps, mais les cicatrices sont bien présentes. Elles le consument, lui font renier en partie son pays, provoquent son exil. Il n’est plus qu’une face livide qui tente de retrouver les siens.

Spielberg délivre un film impressionnant. Impressionnant de reconstitution, impressionnant de maîtrise, impressionnant de fluidité, du jeu des acteurs (Bana excelle), de la photo, de la réalisation, mais un film que l’on arrive pas à qualifier de magnifique, de chef d’œuvre. On ne saurait pointer les défauts – une légère baisse de rythme à Londres, quelques scènes superflues – mais il demeure cependant une appréhension qui empêche de crier au chef d’œuvre. Peut-être est-ce tout simplement l’histoire qui ne s’y prête pas ? Ce n’est pas un défaut, ni même un reproche ou une vulgarisation de valeur morale au rabais qui voudrait affirmer que l’on ne puisse faire quelque chose de beau avec une histoire aussi effroyable. Non, mais pourtant.

Munich est une œuvre forte. Le cinéaste est parvenu à éviter tous les écueils majeurs, ainsi que les siens, inhérents parfois à sa personnalité. Il livre un froid mais qui ne manque pas d’émotion, un film dur qui sait parfois se faire tendresse, une œuvre abondante qui n’oublie pas le détail. Le recul serait mère de sûreté pour parler davantage de ce film, tant on soupçonne d’être passé à côté de détails.

Dans le contexte qui est le notre aujourd’hui, le film nous renvoie aux erreurs passées, pointent du doigt la mauvaise direction prise par tous les dirigeants du monde. Le film se termine sur le World Trade Center encore debout, simplement pour rappeler aux américains. Aucun mot n’était nécessaire, espérons que le message est passé.

 

Publié dans Cinéma

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