Emilie Simon - Vegetal

Publié le par helel ben sahar


Le premier album de Emilie Simon était à l’image de sa pochette, aussi doux qu’une montée de coccinelles sur notre peau. A la fois fragile et précieux, qui produisait une magie naturelle et apportait des visions féeriques. Petite electro fabriquée par des mains agiles, Emilie Simon parvenait à atteindre un stade onirique de la musique, où les contes doucereux d’une jeune femme atteint du syndrome de Peter Pan, en manque de prince charmant, investissaient nos oreilles. Mais derrière la naïveté idyllique, se cachait des ressentiments graves qui trompaient un peu son monde, et donnait finalement l’impression que la jeune fée était bien plus lucide qu’il n’y paraissait.

Sans être une bombe commerciale, ce premier disque marqua les esprits et fit son petit bonhomme de chemin à dos de coccinelles, pour finalement atteindre une renommée exquise portée par sa récompense aux victoires de la musique et quelques articles élogieux dans la presse. Le cap du second album est toujours un périlleux exercice, une marche de funambule sur le fil, que le public attentif, ne manquerait certainement pas de remarquer le faux pas, espérant même une chute pour certains. Mais alors une opportunité se présente qui contrecarre les doutes et errances que ce second opus impose bien malgré lui.

En effet, voilà notre reine de l’electro française convoquée pour mettre en musique le documentaire sur la reproduction des manchots empereurs filmé par Luc Jacquet. Plus qu’une simple commande ou une simple bande originale, La marche de l’empereur représente un peu l’album 1.5 et permet à Emilie d’innover, de s’adonner à quelques expérimentations afin d’éviter de s’enfermer dans un modèle quasi parfait représenté dans son premier opus. En pénétrant ainsi un nouvel univers, elle repousse quelque peu son identité pour convoquer la fraîcheur glaciale du monde des empereurs. La musique est toujours aussi riche, mais surtout, elle musicalise des sons naturels (bruits de pas dans la neige, glace qui craque, glaçons…) et agence un petit opéra electro-naturaliste qui aura une importance indéniable sur son vrai second album. De plus, La marche de l’empereur assoie définitivement sa notoriété auprès du grand public, qu’une seconde victoire de la musique vient confirmer.

Sort donc ce second opus tant attendu par les fans et les moins fans, désireux d’entendre ce que notre petite fée a à nous offrir. En opposition à la marche de l’empereur, Emilie revient dans des paysages qui lui sont certainement plus familiers. Adieu la rigueur hivernale et le froid glaciaire, fait place un paradis végétal, un eden verdoyant qui respire une chaleur retrouvée.

Véritable concept album où la notion de nature est invoquée à chaque chanson, que se soit dans les textes ou dans la musique elle-même. On parcoure, à l’écoute de nouvel opus, dans un dédale de verdure, de plantes ou d’arbres extraordinaire dans un éternel dépaysement. A la fois merveilleux et familier, le sentier pénètre des paradis teintés de vert, où la nature s’érige en divinité adulée, où la musique constitue à la fois la bande son et l’ode. Adieu les coccinelles et les manchots, seuls les végétaux ont le droit de citer. Dans ce rapport conceptuel jusqu’à l’utilisation de samples naturalistes (poisson qui sort de l’eau dans Swimming, feu crépitant dans En cendres…), on reconnaît l’importance de ses précédents travaux pour le documentaire de Jacquet. Car Emilie ne s’est pas caché derrière l’exercice de la bande originale, mais a investi cette commande comme un vaste laboratoire d’expériences, et si la musique directement sortie et un peu brute constituait déjà une avancée certaine par rapport à son premier essaie, Végétal constitue assurément la finalité, la quintessence de cet exercice. L’agencement des sons, leur texture et la composition représentent une savante construction où rien n’est laissé au hasard, au contraire, repose sur une réflexion intelligente qui permet de placer la bonne note ou intention au bon moment, sans jamais trop en faire, en gardant toujours intact le morceau et sa fragilité. Désamorçant sans surprise tous les risques possibles et imputables au genre de l’electro, la fée écrit, conçoit des chansons simples et riches, complexes et minimalistes pour gagner une texture impressionnantes et un renouvellement constant.

Toujours maîtresse de ses divers instruments et machines, Emilie impose pourtant un traitement organique à ses chansons, et ce malgré le caractère ordinairement froid de l’électronique. Des guitares un peu plus présentes, pour retrouver cet aspect volontairement charnel qui accompagne merveilleusement ce côté végétal, c’est surtout dans l’agencement même des morceaux, dans les rythmes que l’on retrouve le dénominateur commun, sans oublier évidemment les sons naturels qui donnent l’architecture et la texture des morceaux. Autrement ce dernier détail emprunté aux expérimentations de La marche de l’empereur, l’apparition des cordes (bien plus que dans le premier album) et les cœurs rappellent certains morceaux issus de la bande originale (Alicia). On remarque également que Emilie a gagné en confiance et se permet de prendre des risques au niveau du chant. Elle garde son phrasé chuchoté presque cristallin, mais se permet également quelques envolées vocales (Fleur de saison, Alicia, Never fall in love), et puis parfois un petit côté espiègle (Le vieil amant), comptine suspendue (Opium, Annie), ou chant teinté par le fantôme de Gainsbourg (Rose hybride de thé). Fourmillant, le chant devient bien moins linéaire – ce qui n’était pas vraiment un défaut d’ailleurs – et gagne en intensité et énergie quand la chanson le réclame.

Musicalement, c’est tout aussi riche et développée. On retrouve des morceaux plus rythmé, plus dur (toute proportion gardée) qui impose un visage un peu différent à l’ange féerique. Presque rock par moment, on se souvient de la magnifique cover de Iggy Pop I wanna be your dog, ainsi la jeune demoiselle appuie davantage cet aspect de sa musique. Ces chansons (Le vieil amant, Never fall in love) s’inscrivent logiquement dans l’album, sans que l’on soit étonné de leur présence et impose au contraire une richesse bienvenue toujours en accord avec le thème de l’album. Au-delà de ces représentations énergiques, on retrouve parfois des incursions dans les œuvres de Danny Elfman (Sweet blossom) pour un morceau qui apparaît comme une bande original d’un conte morbide pour enfant imaginaire (la chanson ne dépaillerait pas dans un étrange noël de monsieur Jack ou les noces funèbres.), des balades champêtres en plein cœur de la nature (in the lake), titre merveilleux qui impose une sérénité nostalgique comme le souvenir d’un paradis perdu, et puis ces chansons tristes d’amour contrarié toute douce et triste qui représente tellement bien notre fée de l’electro (My old friend, En cendres). Ces deux derniers titres concluent l’album d’une fort belle façon, des chansons éthérées emprunts d’une touche de chagrin non retenue et pourtant si pudique.

Végétal s’inscrit dans la parfaite continuité des travaux de Emilie Simon. En changeant radicalement de contexte – en opposition à La marche de l’empereur – elle parvient à garder intacte sa personnalité et ce qui la définit musicalement. Elle se renouvelle en appliquant pourtant une recette identique. Jeune femme qui connaît trop bien les diverses possibilités que représente son laboratoire de sons en tout genre et sait comment les exploiter pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes sans jamais paraître superflus. Accompagnant ses notes, sa plume est à l’image de sa musique, faussement naïf, ses comptines ne nourrissent d’éléments tragiques qui sortent les paroles de cahier de jeune écolière rêveuses. Jouant merveilleusement bien avec les mots, elle compose des textes travaillés qui pourtant sonnent incroyablement simples. L’album se compose également de cinq textes en anglais, sans que l’effet ne parait facile ou évident, sans non plus vouloir se prosterner devant un universalisme que les mauvaises langues jugeraient opportuniste et mercantile.

L’exercice du second album est réussi haut la main, tant le disque accompagne un bon moment l’auditeur. On rit, on pleure en écoutant les chansons enchanteresses de notre reine de l’electro, en parcourrant les titres envoûtants dans ces dédales végétales. Concept album naturaliste qui convit à la fois les sons et les mots (toujours une référence à une fleur ou une plante ou un élément naturel comme les cendres), Végétal constitue la bande son parfaite pour des ballades en terre sauvage, où la découverte de ce monde à l’opposé de notre urbanisme représente un dépaysement angélique et salvateur. Loin du bruit et du stress, ce disque est une bouffée d’oxygène. Au fur et à mesure des écoutes, on réapprend le vent, on réapprend à respirer, on réapprend tout simplement à vivre dans un monde que l’on n’a pas domestiqué. C’est tout le paradoxe de ce disque, comment des machines, bien que gouvernées par les doigts de fée d’une jeune femme, parvient à nous faire redécouvrir la nature végétale, l’organique. L’electro nous avait déjà accompagné au grand nord, aujourd’hui c’est dans nos forêts que nous sommes conviés. La voix d’une sirène, d’un elfe ou d’une fée nous guide, ne reste plus qu’à nous perdre, et que l’on ne retrouve jamais notre chemin, bercé ainsi par les sons et les mots de Emilie Simon. Tout simplement…

Publié dans Musique

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S
Un album encore meilleur à chaque écoute. J'adore !<br /> Ce texte rend bien compte de ce qu'est ce nouveau disque : une oeuvre très riche, parfaitement maîtrisée, très réfléchi, mais absolument pas froid. Les émotions ressenties à l'écoute sont diverses, mais c'est, pour moi, la douce mélancolie qui l'emporte au final, avec le dernier morceau, magnifique.
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